201611.22
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Enquête pour le compte d’un assureur et vie privée

671Les assureurs qui indemnisent les préjudices corporels doivent parfois recourir à un détective privé afin de s’assurer de la réalité des demandes de l’assuré ou du bénéficiaire.

C’était le cas dans l’affaire présentée ici (Cass. Civ. 1ère, 22 septembre 2016, n°15-24015). Un jeune adolescent a été renversé par une voiture alors qu’il circulait à vélo. Il a subi diverses fractures, un hématome et un traumatisme crânien modéré. L’expert judiciaire désigné pour évaluer les préjudices relevait dans son rapport d’expertise certaines discordances entre les déclarations de l’adolescent et ses bilans médicaux – normaux.

L’assureur qui devait indemniser la victime a décidé de confier au préalable une enquête à un détective privé afin de vérifier le degré d’autonomie de la jeune victime.

Estimant que l’enquête a porté une atteinte illégitime au droit au respect de leur vie privée, la mère de l’adolescent ainsi que la victime elle-même ont sollicité une indemnisation du préjudice résultant de cette atteinte.

Dans sa décision, la haute juridiction approuve la Cour d’appel d’avoir estimé que l’enquête portait une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi.

Mais attendu qu’après avoir décidé, à bon droit, que les opérations de surveillance et de filature menées par les enquêteurs mandatés par l’assureur étaient, par elles-mêmes, de nature à porter atteinte à la vie privée de M. X… et de Mme Y…, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, énoncé qu’il convenait d’apprécier si une telle atteinte était proportionnée au regard des intérêts en présence, l’assureur ayant l’obligation d’agir dans l’intérêt de la collectivité des assurés et, pour ce faire, de vérifier si la demande en réparation de la victime était fondée ; qu’ayant constaté que les opérations de surveillance avaient concerné l’intérieur du domicile de M. X… et de sa mère, que les enquêteurs avaient procédé à la description physique et à une tentative d’identification des personnes s’y présentant et que les déplacements de Mme Y… avaient été précisément rapportés, elle a pu en déduire que cette immixtion dans leur vie privée excédait les nécessités de l’enquête privée et que, dès lors, les atteintes en résultant étaient disproportionnées au regard du but poursuivi ; que, par ces seuls motifs, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

Quelles sont les principes rappelés par la haute juridiction ?

  • L’enquête doit être légitime

La légitimité du recours à une enquête n’est pas remise en question ici par la Cour de Cassation.

Elle admet qu’une telle enquête puisse être nécessaire et légitime « dans l’intérêt de la collectivité des assurés ». Une telle enquête peut constituer un mode de preuve admissible devant les tribunaux.

  • L’enquête doit être proportionnée au but recherché

Dans l’espèce, le détective aurait dû se contenter de vérifier le degré d’autonomie de la victime. Or, il résulte du rapport d’enquête que la surveillance a été importante et particulièrement intrusive.

En effet, les premiers juges avaient constaté que certaines des opérations de surveillance se passaient dans des lieux ouverts au public – dans la rue, au supermarché, etc. et elles se rapportaient bien à vérifier l’autonomie et la mobilité de la victime.

Cependant, le rapport d’enquête révélait aussi que ces opérations ne se limitaient pas à la voie publique mais s’étaient étendues à l’intérieur même de l’habitation de la victime puisque les personnes qui s’y trouvaient faisaient l’objet d’une description détaillée et que l’enquêteur cherchait à identifier toutes les personnes qui rendaient visite au domicile de la victime.

⇒   Pour les juges, ces opérations constituaient une immixtion dans la vie privée de la victime qui excédait les besoins de l’enquête. Il en résultait donc une atteinte disproportionnée à la vie privée.

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