201904.24
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La sécurité des passagers est-elle réellement un nouvel enjeu de la CJUE?

Introduction

Depuis plusieurs années, la Cour de Justice de l’UE adopte dans sa jurisprudence, une interprétation du règlement européen n°261/2004 particulièrement favorable aux passagers aériens. Cette jurisprudence a conduit les professionnels de l’aérien à s’interroger sur les risques pour la sécurité des vols que pouvait engendrer une telle approche consumériste. En effet, aucune des décisions ne prenait en compte la question pourtant si essentielle dans le transport aérien, de la sécurité.

Face aux critiques, la Cour a timidement abordé ce sujet à l’occasion d’une affaire relative à la collision d’un aéronef avec des volatiles, ayant occasionné un retard très important (Affaire C-315/15, CJUE 4 mai 2017, Peskova et Peska). A cette occasion, elle se fondait sur le premier alinéa du Règlement précité pour indiquer que la sécurité des passagers aériens doit prévaloir sur la ponctualité du vol (voir Collision aviaire: sécurité ne rime pas (forcément) avec ponctualité, Note sous CJUE 4 mai 2017 – aff. C315/15, Juristourisme n°201, octobre 2017, pp.44-47).

La présente décision (C-501/17, CJUE 4 avril 2019, Germanwings c/ Pauels) s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence de la cour qui semble désormais retenir une approche sécuritaire, sans pour autant remettre en question les décisions passées.

L’affaire

Un vol Dublin/Düsseldorf a été réalisé avec un retard de plus trois de heures à l’arrivée. Cependant, le transporteur aérien a refusé d’indemniser son passager, invoquant une circonstance extraordinaire. En effet, le transporteur aérien peut être exonéré du règlement de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article 7 du règlement européen n°261/2004 dans les cas où un évènement est dû à des « circonstances extraordinaires » qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. En l’espèce, il indiquait que le retard était dû à la découverte, au moment des préparatifs du vol, d’une vis dans l’un des pneus. Le remplacement du pneu était donc nécessaire pour pouvoir opérer le vol.

Condamné en première instance à indemniser le passager, le transporteur aérien fit appel de cette décision. Le juge d’appel allemand considérait pour sa part que la présence d’une vis dans le pneu de l’aéronef constituait une circonstance extraordinaire et qu’un tel évènement devait être assimilé à une collision avec des volatiles ainsi que cela ressortait de l’arrêt de la CJUE du 4 mai 2017 (précité). Mais il releva toutefois qu’il existait une jurisprudence contraire de la cour, relative à la collision avec un escalier mobile (ordonnance du 14 novembre 2014 affaire C-394/14). D’où la question préjudicielle posée à la Cour de Justice.

Celle-ci rappelle tout d’abord dans sa décision que la notion de « circonstances extraordinaires » s’entend des évènements qui, par leur nature ou par leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci.

Elle constate dans l’affaire qui lui est soumise que si les pneumatiques des aéronefs font l’objet de contrôles de sécurité réguliers intégrés dans les conditions courantes d’exploitation (point 23), il n’en va pas de même lorsque la défaillance du pneumatique trouve son origine exclusive dans le choc avec un objet étranger, comme une vis. Elle précise que cela n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité de transporteur aérien et observe également qu’un tel évènement échappe à sa maitrise effective, l’entretien des pistes ne relevant nullement de sa compétence.

Elle approuve de surcroît les conclusions de l’avocat général qui soulignait que qualifier cet évènement de circonstances extraordinaires répondait à l’objectif de « garantir un niveau élevé de protection des passagers ». Encore une fois, la sécurité des passagers aériens doit prévaloir sur la ponctualité du vol.

La Cour de Justice prend conscience qu’il est nécessaire de ne pas inciter les transporteurs aériens à s’abstenir de prendre les mesures requises afin de garantir la sécurité des passagers.

Elle ajoute cependant que le transporteur aérien doit justifier, une fois l’événement survenu, avoir pris les mesures adaptées à la situation en mettant en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, afin d’éviter que celle-ci conduise à l’annulation ou au retard important du vol concerné, sans pour autant qu’il puisse être exigé de lui qu’il consente des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent (point 31).

En d’autres termes, il appartient au juge national de vérifier que le transporteur aérien a mis en œuvre les moyens nécessaires (humains, matériels, financiers) afin d’éviter que le remplacement du pneumatique ainsi endommagé ne conduise à un retard important.

Les enjeux

L’évolution récente de la CJUE dans ces affaires relatives aux droits des passagers aériens doit être approuvée. Le transporteur aérien ne doit assurément pas se retrouver dans une position où il mettrait en balance la sécurité du vol et sa ponctualité.

Une interprétation trop stricte et inflexible de la notion de « circonstances extraordinaires » aurait certainement pu aboutir à une situation intolérable. Mais l’approche de la Cour demeure encore timorée et l’on peut se demander si la proclamation de la protection du passager et surtout de son corollaire, sa sécurité, n’est en réalité pas illusoire.

En effet, l’évènement qualifié de « circonstance extraordinaire » ne sera pas systématiquement exonératoire pour la compagnie aérienne…

Celle-ci devra encore convaincre le juge national qu’elle a pris les mesures appropriées pour éviter un retard trop important ou l’annulation du vol. Cette appréciation du juge national n’est cependant pas soumise au contrôle de la Cour de Justice.

De surcroît, le juge va se retrouver dans une situation où il va devoir apprécier les moyens mis en œuvre par le transporteur aérien et se faire ainsi l’arbitre des moyens employés (qu’ils soient humains, matériels ou financiers) alors que ces moyens vont nécessairement varier selon le transporteur, les circonstances, etc.

Le juge est-il sur le point de devenir également un spécialiste des opérations aériennes et commander aux transporteurs comment « prendre des mesures adaptées à la situation », alors qu’ils sont soumis à diverses contraintes (normes internationales, spécifications techniques des avionneurs, exploitation locale, etc.) ?